On a du bien à partager le résumé du
rapport " Personne ne se souvient de nous" présenté par
Human Rights Watch a la fin mois aout. En prêtant attention a la
situation du droit des femmes et des filles à la santé et à la
sécurité, le document contribue aussi (et surtout) a une analyse
approfondie sur la situation sociale et politique en Haïti au delà des
enjeux humanitaires, mettant en question le rôle et responsabilités des
acteurs (étatiques ou pas) présents a Port-au-Prince. On a ajouté des hyperliens/
photos/graphes et matériel d'appui.
English version of the report
Nous vivons
dans ce camp, dans la saleté … et personne ne se souvient de nous.
—Charlise, camp
de Delmas 33, Haïti, novembre 2010
Nul n’ignore
les conditions extrêmement éprouvantes auxquelles sont confrontés les habitants
d’Haïti depuis le séisme : bon nombre de ceux qui vivent aujourd’hui dans
des camps informels de déplacés apparus après la catastrophe du 12 janvier 2010
vont se coucher le ventre vide, habitent sous des tentes qui sont déchirées par
le vent et prennent l’eau, connaissent le même taux élevé de chômage que les
autres Haïtiens, et ne peuvent accéder à l’eau potable et à des installations
sanitaires adéquates.
Beaucoup risquent d’être expulsés par des acteurs tant
publics que privés, et les enfants, malades en raison des mauvaises conditions
de vie et souvent non scolarisés vivent sans bénéficier du niveau de sécurité
le plus élémentaire.
Mais dans
l’Haïti de l’après-séisme, les femmes et les filles font face à des difficultés
supplémentaires : manque d’accès à la planification familiale ainsi qu’aux
soins prénatals et obstétricaux, nécessité d’accepter des rapports sexuels
comme moyen de survie afin d’acheter de la nourriture pour elles-mêmes et pour
leurs enfants et violences sexuelles. La crise se reflète dans les taux de
grossesse enregistrés dans les camps de personnes déplacées, trois fois plus
élevés qu’en zone urbaine avant le tremblement de terre, et dans les taux de
mortalité maternelle, parmi les plus élevés au monde.
La situation
n’est pas totalement nouvelle : même avant le séisme, la mortalité chez
les femmes et les filles pendant la grossesse et l’accouchement atteignait, en
Haïti, des plafonds alarmants. Les femmes et les filles étaient aussi
confrontées à un niveau élevé de violence domestique et sexuelle, à une
pauvreté extrême et à de fortes disparités, par rapport aux hommes, dans le
domaine de l’accès à l’éducation. Le tremblement de terre est venu exacerber la
vulnérabilité de ce groupe déjà très précaire.
Le présent
rapport analyse l’accès des femmes et des filles aux soins reproductifs et
maternels dans l’Haïti de l’après séisme, sur la base de recherches effectuées
à Port-au-Prince fin 2010 et début 2011 et d’entretiens réalisés avec 128
femmes et filles vivant dans quinze camps de déplacés dans sept des douze
communes affectées par le tremblement de terre. Il examine l’impact que
l’insécurité alimentaire exerce sur la santé reproductive et maternelle, les
rapports sexuels monnayés dont sont devenues dépendantes certaines femmes et
filles pour survivre, ainsi que leur vulnérabilité face à la violence basée sur
le genre (VBG) et les conséquences de cette violence. Il étudie également les
obligations qui incombent au gouvernement d’Haïti en matière de droits humains
et le besoin de transparence réciproque entre le gouvernement, les États
bailleurs de fonds et les acteurs non-étatiques opérant dans le pays.
Dix-huit mois
après le séisme, le rapport révèle que les femmes touchées par la catastrophe
n’ont pas eu voix au chapitre dans le processus de reconstruction, alors
qu’elles font partie intégrante de l’économie du pays. Par ailleurs,
l’optimisme initial ressenti par les agences humanitaires et les bailleurs de
fonds internationaux quant à une amélioration de l’accès à la santé maternelle
dans les zones affectées par la catastrophe ne s’est pas traduit dans les faits
pour toutes les femmes et les filles. Ceci, en dépit de la vague de soutien
international et de nouveaux services gratuits gérés par des organisations non
gouvernementales (ONG) internationales, lesquelles avaient promis d’éradiquer
les barrières géographiques et économiques qui, au cours de l’histoire, avaient
empêché les femmes et les filles d’accéder aux soins de santé.
Pour les femmes
et les filles interrogées par Human Rights Watch dans les camps, la jouissance
des droits humains, tels que le droit à la vie et à la santé, reste limitée (en
dépit des avantages nés de l’offre de soins gratuits et de la présence
d’experts sur le terrain), et la plupart d’entre elles souffrent d’un manque
d’informations élémentaires qui leur permettraient d’avoir accès aux services
disponibles. En effet, corroborant des faits largement reconnus, Human RightsWatch a trouvé des éléments mettant en avant trois types de retard qui contribuent
à la mortalité liée à une grossesse : le temps pris pour décider de
demander les soins médicaux appropriés, le temps nécessaire pour arriver à un
centre d’obstétrique et le temps qui s’écoule avant de recevoir les soins
adéquats lors de l’arrivée dans l’un de ces centres. Selon les femmes et les
filles avec lesquelles nous nous sommes entretenues, ces retards sont survenus
parce qu’elles n’ont pas senti les premiers signes de l’accouchement ou ne
connaissaient pas bien leur nouveau quartier, parce que les centres de soins où
elles se rendaient précédemment avaient été détruits lors du tremblement de
terre, à cause de la distance, des problèmes de sécurité ou des frais de
transport ou en raison des soins insuffisants dispensés aux centres de
consultation.
La plupart des
femmes et des filles interrogées par Human Rights Watch ignoraient quelles
organisations travaillaient à l’intérieur ou autour de leurs camps, quand et où
les services étaient disponibles, et vers qui se tourner pour se plaindre en
cas de problème. Elles sont également confrontées à de sérieux obstacles, soit
pour accéder aux soins prénatals et obstétricaux ainsi qu’à la planification
familiale, soit pour avoir des informations à ce sujet, ce qui les empêche
d’exercer un contrôle sur le nombre d’enfants qu’elles ont et sur l’espacement
entre les naissances et oblige certaines à recourir à des avortements illégaux
pratiqués dans des conditions dangereuses qui menacent leur santé et leur
sécurité. Les obstacles existant sur le plan de l’accès aux services sont
particulièrement inquiétants lorsqu’il s’agit d’adolescentes, lesquelles
courent des risques accrus pendant leur grossesse en raison de leur âge. Bien
que les soins prénatals soient souvent gratuits, il arrive parfois que les
femmes et les filles indigentes ne soient pas en mesure de payer le transport
pour se rendre aux consultations et elles risquent de ne plus se faire soigner
si elles n’arrivent pas à payer les examens qui leur sont prescrits, par
exemple une échographie. Certaines femmes et filles que nous avons interrogées
restent chez elles pour accoucher car elles pensent (à tort) qu’elles ne
peuvent pas retourner à l’hôpital sans l’échographie. Les femmes et les filles
interrogées par Human Rights Watch ont également rencontré des difficultés
d’accès aux soins au moment de l’accouchement. Bien que la plupart aient dit
qu’elles voulaient accoucher dans un hôpital, plus de la moitié de celles qui
ont donné naissance depuis le séisme l’ont fait dans un endroit autre qu’un
centre médical et sans accoucheur qualifié : un nombre considérable de
femmes et de filles ont accouché sous une tente de camping ou dans la rue
pendant leur trajet à l’hôpital. « J’ai accouché à même le sol »,
a expliqué Mona, qui vit dans un camp à Delmas 33. « Je n’ai pas eu de
médicaments antidouleur pendant l’accouchement. » Elle a finalement
consulté un médecin trois jours plus tard ; il lui a donné trois comprimés
analgésiques.
L’insécurité
alimentaire dans les camps est un autre problème. Certaines femmes et filles
enceintes et des mères allaitantes interrogées par Human Rights Watch, ainsi
que leurs enfants, ne bénéficient pas d’une alimentation appropriée : une
femme, Adeline, a été forcée de nourrir son bébé de trois mois avec de la
farine de maïs mélangée à de l’eau car elle n’avait pas suffisamment de lait
maternel pour son enfant. D’autres femmes et filles ont confié qu’elles se
sentaient faibles en raison d’une sous-alimentation.
La distribution
alimentaire générale a pris fin deux mois après le séisme et le taux de chômage
dans les camps est très élevé. L’extrême vulnérabilité et la misère qui y
règnent ont conduit certaines femmes et filles interrogées par Human Rights
Watch à se mettre en couple avec des hommes par souci de sécurité économique,
ou à se livrer à des rapports sexuels monnayés pour assurer leur survie. Selon
les femmes et les filles avec lesquelles nous nous sommes entretenues et
d’après de récentes études menées par d’autres organisations de défense des
droits humains, l’échange de faveurs sexuelles pour de la nourriture est
fréquent. « Il faut bien qu’on mange », a simplement déclaré
Ghislaine, qui vit dans un camp à Croix-de-Bouquets. Sans un accès approprié à
la contraception, les femmes et les filles sont encore plus exposées
lorsqu’elles survivent en monnayant des rapports sexuels pour de la nourriture.
Par ailleurs, beaucoup se livrent à ces pratiques en secret, ce qui les expose
à la violence car elles ne bénéficient pas du peu de protection que pourraient
leur offrir des réseaux sociaux ou leur communauté.
En Haïti, les
femmes et les filles sont également la proie de violences basées sur le genre,
un problème qui existait déjà avant le tremblement de terre. Human Rights Watch
a constaté que certaines victimes de violence sexuelle vivant dans les camps de
personnes déplacées avaient du mal à accéder à des services de prise en charge
des victimes de viol, nécessaires pour empêcher une grossesse ou la propagation
de maladies sexuellement transmissibles. La stigmatisation sociale et la honte
peuvent générer d’autres obstacles qui les empêchent de demander des soins. Six
des femmes et filles enceintes qui ont parlé avec Human Rights Watch, dont
trois étaient âgées de quatorze ou quinze ans, ont confié que leur grossesse
était le résultat d’un viol. Ces chiffres risquent d’être plus élevés que ceux
enregistrés ici car nos entretiens portaient sur l’accès aux services de santé,
et non sur la violence sexuelle. Les femmes et les filles qui ont dénoncé un
viol à Human Rights Watch l’ont fait dans le cadre d’un entretien qui portait
sur les soins maternels et reproductifs. Les femmes et les filles enceintes à
la suite d’un viol sont confrontées aux mêmes obstacles que les autres sur le
plan de l’accès aux soins maternels et reproductifs, mais elles doivent de
surcroît subir la stigmatisation et le traumatisme associés au viol.
Bon nombre
d’ONG, de bailleurs de fonds et d’experts en santé maternelle ont cherché à
répondre aux besoins des femmes et des filles dans l’Haïti de l’après-séisme.
Le projet Soins Obstétricaux Gratuits (SOG), en particulier, lancé en 2008, a
continué à opérer après le tremblement de terre pour offrir des soins prénatals
gratuits aux femmes et aux filles, et il est parvenu à leur permettre un accès
à des soins qui n’étaient pas abordables auparavant. Néanmoins, un nombre
considérable de femmes et de filles interrogées par Human Rights Watch n’ont
toujours pas accès à des centres de consultation ou à des hôpitaux, accouchent
sans assistance dans une tente, à même le sol boueux ou dans les rues et les
venelles des camps et, désespérées et affamées, elles se livrent à des rapports
sexuels en échange de nourriture pour subsister. Nous avons constaté que la
violence sexuelle et l’absence de prise en charge des victimes de viol ont débouché
sur des grossesses non désirées chez des femmes et des filles qui n’avaient pas
plus de quatorze ans.
Le
gouvernement, qui devrait exercer une surveillance sur les services de soins
maternels fournis, ne dispose pas de données actualisées et détaillées sur les
soins maternels apportés aux femmes et aux filles qui vivent dans des camps et
ne viennent pas se faire soigner dans l’un des établissements gouvernementaux.
Il ne dispose pas davantage de données concernant les femmes et les filles qui
interrompent les soins. Sans ces informations, il est impossible d’identifier
et de mettre en œuvre des mesures visant à développer des mécanismes de recours
où les femmes et les filles peuvent porter plainte ou réclamer réparation, de
corriger les failles systémiques ou de reproduire les programmes qui se
révèlent efficaces.
Human Rights
Watch a constaté que les informations importantes, nécessaires pour que le
gouvernement haïtien suive de près les progrès opérés en matière de santé
maternelle, ne sont pas enregistrés dans les camps : par exemple, aucun
des cinq décès de nourrissons mentionnés par des femmes et des filles
interrogées par Human Rights Watch n’ont été rapportés ou enregistrés par une
quelconque ONG ou un quelconque organe gouvernemental. Les habitants des camps
ont confié à Human Rights Watch que les décès dans les camps, quelle qu’en soit
la cause, ne sont généralement pas enregistrés. Dès lors, si des femmes et des
filles meurent dans des camps pour des raisons liées à une maternité, leurs
décès ne seront pas enregistrés. Ces informations de base sur la mortalité
maternelle et infantile sont fondamentales pour déterminer si le gouvernement
fait des progrès sur le plan de ses obligations en matière de droit à la santé.