On a du bien a partager cet article de Mathieu Lopes avec photographies de Sophie Garcia paru chez survie il y a quelques mois sur la crise parvenue en Burkina Faso en septembre 2015 lors de la tentative de coup d´Etat menée par la Régiment de la Securité Présidentielle (RSP),visant le procès de transition entamé par le pays depuis la chute de Blaise Compaoré suite a un soulèvement populaire en octobre 2014. C´est un article qui examine de façon critique le role joué pendant ces jours de confusion par des institutions comme la CEDEAO ou l´ambassade de la France; sa lecture peut aussi donner un peu de perspective a des évènements dans le pays après les attaques meurtrières a Ouagadougou (janvier 2016) et Grand-Bassam, Côte d´Ivoire (mars 2016), notamment le déploiement des forces paramilitaires françaises pour "combattre le terrorisme" en Afrique de l´Ouest. On a inséré les notes au pied au corps du texte, en taille mineur et entre parenthèses, et ajouté quelques hyperliens; à la fin du post plus d´information d´autres sources relayée par @onadaexpansiva
Journée de protestation des organisations de la société civile le 6 février 2015 sous le slogan "Non au RSP" photo de Yaya Boudani pour la note de RFI Burkina: la société civile dans la rue contre le RSP |
Putsch raté en pays insoumis
Vestiges du régime de Compaoré, la garde
présidentielle et le général Diendéré ont tenté de prendre le pouvoir,
moins d’un an après l’insurrection qui a chassé le dictateur. Ils ont
échoué face à la résistance massive des Burkinabè et d’une partie de
l’armée. Les dirigeants africains ou français se sont positionnés à
contretemps et parfois à contresens de la volonté populaire.
Le 16 septembre, des membres du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) interrompent le conseil des ministres. C’est au moins la troisième fois depuis l’insurrection d’octobre 2014 que ce régiment emblématique du règne de Blaise Compaoré tente ainsi d’imposer ses revendications aux autorités de la transition chargées du pouvoir jusqu’aux élections prévues en octobre. Mais cette fois, les
militaires vont plus loin et arrêtent le président Kafando et l’ensemble
des ministres. Ce putsch désigne le lendemain matin le général Gilbert Diendéré comme chef de la junte.
Photo Sophie Garcia. |
L’ancien numéro 2 du régime Compaoré affirme aujourd’hui qu’il
n’avait pas prévu de prendre le pouvoir et que le coup de force du RSP
n’avait pour but que de s’opposer à sa dissolution, annoncée en raison
de la menace permanente qu’il faisait peser sur la transition et du fort
potentiel de nuisance dont il disposait (Le RSP est le régiment sur lequel Compaoré s’est appuyé pour régner,
lui confiant la répression dans le sang de toute opposition lors de ses
10 premières années, entre autres basses œuvres. Bien armé, bien payé et
expérimenté, ce régiment a toujours été considéré comme pouvant tenir
tête au reste de l’armée du pays.)
Mais l’opération semble très bien préparée. Dès le lancement, les
médias sont coupés, y compris Radio Oméga, seule radio qui avait pu
couvrir en continu l’insurrection de 2014, dont le matériel est détruit.
Le RSP cible les piliers de la mobilisation de l’an passé et pourchasse
tout particulièrement les membres du Balai citoyen. Sams’K le Jah et
Smockey, figures de ce mouvement de jeunesse fortement mobilisé en 2014,
doivent fuir alors que les putschistes viennent les traquer à leurs
domiciles. Le studio de musique de Smockey est même partiellement
détruit par un tir de roquette. Des comptes de propagande sur les
réseaux sociaux hostiles à l’insurrection et à la transition, silencieux
depuis des mois, sont réactivés.
Difficile d’y voir un simple coup de pression qui aurait dérapé.
D’autant que la seule mesure politique des putschistes, au-delà de la
prise du pouvoir, est la promesse d’élections "inclusives". Le CNT (Le Conseil national de la transition tient le rôle de Parlement du Burkina Faso pendant la transition.) s’appuyant sur la Charte africaine de la démocratie de l’Union africaine a en effet invalidé la candidature de plusieurs membres de
l’ancien régime aux prochaines élections, au titre de leur action passée
en faveur du changement constitutionnel prévu par Compaoré pour se
maintenir au pouvoir (Cette charte précise "Les
auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement ne doivent ni
participer aux élections organisées pour la restitution de l’ordre
démocratique, ni occuper des postes de responsabilité dans les
institutions politiques de leur Etat.").
Les condamnations internationales du coup d’État sont unanimes, même du côté de la France et des USA, pour qui Gilbert Diendéré est un vieux compagnon.
Le général, qui a joué un rôle-clé dans l’assassinat de Sankara, a été
le contact privilégié des coopérants militaires français pendant les 27
ans du règne de Compaoré, durant lequel le régime a été de bien des
coups tordus françafricains. Il est fort apprécié des occidentaux pour
la place qu’il occupe dans l’antiterrorisme au Sahel depuis quelques
années. La légion d’honneur que la France lui a décernée en 2008 n’est
qu’un des multiples signes d’appréciation qu’il a reçus.
« L’initialisation de la résistance contre ce coup d’État est venue des membres de la société civile, à tel point que les putschistes ont cherché à en assassiner les leaders »
Mais les Burkinabè entendent bien défendre eux-mêmes les acquis de
leur insurrection et se mobilisent à tous les niveaux : manifestations
de rues dans tous les quartiers de Ouagadougou, barricades, grève
générale décrétée par les syndicats, incendie des domiciles de certaines
figures du putsch. Le président du Conseil national de la transition,
le journaliste Chérif Sy (Qui a d’ailleurs contribué dans les colonnes de Survie, voir là notamment.),
déclare assumer la vacance du pouvoir contre les putschistes et en
appelle à la mobilisation du peuple et de l’armée régulière. Si le RSP
avec ses 1300 hommes peut prétendre, difficilement, au contrôle de
Ouagadougou, le reste du Burkina Faso, insoumis, est ingouvernable pour
les putschistes. De nombreux affrontements opposent des jeunes au RSP.
On recense aujourd’hui au moins 11 tués et plus de 120 blessés par les
balles du RSP. Dans plusieurs endroits excentrés de Ouagadougou, des
jeunes auraient même eu l’ascendant sur des unités du RSP, selon les
rumeurs, nombreuses durant ces journées troubles.
Médiation à sens unique
Le 18 septembre, les présidents sénégalais et béninois, Macky Sall et
Boni Yayi, représentant la CEDEAO (Communauté économique d’Afrique de
l’Ouest), rencontrent Gilbert Diendéré et s’entretiennent avec Michel
Kafando, maintenu en résidence surveillée par les putschistes. Mais
contrairement à ce que veulent faire croire les chefs d’États africains,
le président de la transition n’est pas associé aux négociations. Les
« médiateurs » convient les putschistes, les membres de l’ancien régime
et les responsables des partis politiques d’opposition à des "négociations" à l’Hôtel Laïco le dimanche 20 septembre, en présence
des ambassadeurs des USA et de la France. Les membres des autorités de
transition n’y prennent pas part, pas plus que les représentants de la
société civile, force principale de la résistance aux putschistes. Des
membres du Balai Citoyen, sortis de la clandestinité pour l’occasion,
entourent l’Hôtel pour tenter de participer aux négociations mais ils y
sont malmenés par des membres du RSP ou des militants du CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès, parti de Blaise Compaoré, qui
a vu la candidature de plusieurs de ses membres invalidée pour les
prochaines élections.) , qui s’en prennent également à des journalistes.
Sans surprise au vu du déroulé de ces négociations n’incluant qu’une
des deux parties, les « médiateurs » présentent le dimanche soir un
« accord de sortie de crise » qui fait la part belle aux revendications
des putschistes : le pouvoir serait remis aux autorités de transition,
lesquelles ne pourraient plus légiférer que sur ce qui a trait aux
élections ; les candidatures invalidées de membres de l’ancien régime
devraient être ré-admises ; enfin, le sort du RSP ne pourrait être
déterminé qu’après les élections et les putschistes obtiendraient même
l’amnistie pour leurs actions. Les présidents africains repartent en vue
d’un sommet de la CEDEAO censé entériner l’accord quelques jours plus
tard.
François Hollande, en déplacement au Maroc (où est alors hospitalisé Blaise Compaoré.), se fend alors d’une déclaration qui soutient "entièrement le dialogue engagé par des chefs d’Etat africains pour revenir au processus de transition" et met étrangement "en garde ceux qui voudraient s’y opposer".
Pourtant, au même moment, c’est l’ensemble de la résistance burkinabè
au coup d’État qui s’y oppose. Guy-Hervé Kam, du Balai citoyen, déclare
ainsi à la presse : "c’est honteux ce qu’a proposé la CEDEAO". L’amnistie des putschistes est particulièrement inacceptable pour les Burkinabè.
Manifestante burkinabè armée d’une pierre lors de l’insurrection en 2014. Photo Sophie Garcia. |
Sortie de crise 100 % burkinabè
Les mobilisations dans les rues ne faiblissent pas, bien au
contraire. Des liens ont été entretenus entre la société civile, Chériff
Sy et de jeunes officiers de l’armée régulière, qui finissent par
obliger leur hiérarchie à se positionner contre les putschistes. Le
lundi 21 septembre, plusieurs colonnes de "l’armée loyaliste" sont
formées dans différentes casernes de province et prennent la route de
Ouagadougou, sous les acclamations de la foule, en vue de désarmer le
RSP. Le lendemain, sans combattre, ils imposent des négociations aux
putschistes.
L’issue est très différente de ce que proposait la CEDEAO. Dans l’accord
qui est finalement signé, le RSP accepte son cantonnement et son
désarmement sous trois jours en échange de garantie de sécurité pour ses
membres et leurs familles. Un membre des institutions de la transition
joint par téléphone s’enthousiasme alors : "on est en train de tout gagner".
Cet accord ridiculise définitivement la CEDEAO. Le président nigérian
s’est d’ailleurs plaint à la presse que le mouvement des militaires
contre le RSP avait "sapé les efforts de la médiation" de l’institution régionale.
Il faudra plusieurs jours pour que les putschistes soient
définitivement neutralisés, durant lesquels un assaut sera donné par
l’armée burkinabè contre le camp du RSP où quelques éléments refusaient
encore leur désarmement, et le général Diendéré se réfugiera à
l’ambassade du Vatican avant d’être remis aux autorités.
La France à contretemps
La France a tenté de redorer son blason en envoyant ses troupes et
son ambassadeur récupérer le président Kafando à sa résidence
surveillée, avec l’accord de Diendéré. L’envoyé spécial du Monde a enjolivé cette simple escorte en "[exfiltration] par des militaires français".L’ambassadeur français, Gilles Thibault, a fanfaronné sur Twitter (@G_Thibault_Fr) que le président burkinabè « [était] bien à la résidence de France ».
Depuis l’exfiltration bien réelle de Blaise Compaoré l’an dernier,
soustrayant le dictateur à la justice burkinabè, la France a de quoi
faire profil bas. Des militants burkinabè nous ont d’ailleurs confié
avoir usé de relais diplomatiques pour demander à Gilles Thibault de ne
pas "leur faire le même coup qu’avec Compaoré", une inquiétude alors partagée par d’autres ambassades, provoquant l’énervement du diplomate français.
Au-delà de cette communication et des condamnations de principe
initiales, il a fallu attendre le 21 septembre, quand la défaite des
putschistes était presque assurée, pour voir l’Élysée annoncer la
rupture de la coopération militaire et financière française. Un geste
concret mais trop tardif, qui ne saurait cacher la proximité historique
de la France avec Diendéré, rouage central de cette coopération.
Aujourd’hui, alors que la victoire contre le RSP est confirmée,
l’ambassadeur français insiste sur l’organisation des élections, où les
favoris sont toujours des personnalités favorables aux intérêts tricolores. Un membre de la société civile déplore un tel empressement partagé par bien des partis burkinabè :
« les partis politiques et les bailleurs de fonds, la France en premier, vont pousser pour qu’on aille au plus tôt aux élections. Même s’il est clair que les élections sont importantes, le chantier judiciaire ouvert pendant la transition a révélé de nombreux crimes. Il y a de nombreux dossiers qui pourraient avancer si on se donnait quelques semaines de concentration dessus. Derrière le RSP, il y a aussi un système économique et financier mafieux. C’est maintenant qu’il faut établir les responsabilités. Mais ça risque de ne pas être la priorité ».
Link originale http://survie.org/billets-d-afrique/2015/250-octobre-2015-716/article/putsch-rate-en-pays-insoumis-5028
Plus d´information
Sur la net
- Les journalistes burkinabè ont continué d’informer, malgré les risques RFI 24/9/15
- Why General Gilbert Diendéré is derailing the political transition in Burkina Faso Daniel Eizenga Africa as a Country 20/9/15
- Coup de Balai citoyen au Burkina FasoDavid Comeillas Le Monde Diplomatique 4/15
- #Burkina La jeunesse bouscule la "#Françafrique" Anne Frintz (12/14)http://www.monde-diplomatique.fr/2014/12/FRINTZ/51057 … @mdiplo 18/9/1
- #Burkina @CynthiaOhh:@CEDEAO_ECOWAS a perdu crédit à vouloir précipiter règlement d la crise http://www.jeuneafrique.com/266303/politique/cynthia-ohayon-la-cedeao-a-perdu-du-credit-a-vouloir-precipiter-un-reglement-de-la-crise-burkinabe/ … @mehdiba @jeune_afrique 22/9/16
- #Burkina-#CdI: destins croisés. Rémi Carayol http://www.jeuneafrique.com/mag/288066/politique/burkina-cote-divoire-destins-croises/ … @jeune_afrique v @_rebelion_org 1/1/16
- Affaire Zongo. La force de la justice contre la violence du pouvoir 8/11
- Libye, Côte d’Ivoire: des interventions qui se ressemblent 8/11
- Français
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