Le nuit du 27 d´octobre de 2005 a Clichy-sous-Bois Seine-Saint-Denis, deux lycéens Zyed Benna (17 ans) et Bouna Traoré (17 ans) essayent d´échapper à un contrôle de police; en la fuite ils entrent dans un transformateur électrique. Ils sont decedés électrocutés. La réaction du quartier contre la police (censée d´être responsable) s´est répandue parmi multiples villes françaises avec des émeutes pendant plusieurs jours.
Apres la mise en examen (Octobre 2007) des dos policiers et plusieurs rebondissements judiciaires le 16 mars 2015 s´ouvre le procès contre les deux agents pour "non-assistance à personne en danger" et "mise en danger délibérée de la vie d'autrui".Le 18 mai 2015 ils ont été relaxés de façon définitive. Pour comprendre un peu mieux qu´est-ce cache derrière cet nouveau épisode d´impunité policière on reprend un article publié par Fabien Jobard sur Vacarme @_Vacarme_ (et relayé par Rezo.net @Rezonet) réfléchissant sur la responsabilité des dispositions administratives et décisions politiques qui guident l´actuation policière sur les dits quartiers sensibles. Comme d´habitude on a ajouté des hyperliens, photos et matériel de contexte à la fin.
Apres la mise en examen (Octobre 2007) des dos policiers et plusieurs rebondissements judiciaires le 16 mars 2015 s´ouvre le procès contre les deux agents pour "non-assistance à personne en danger" et "mise en danger délibérée de la vie d'autrui".Le 18 mai 2015 ils ont été relaxés de façon définitive. Pour comprendre un peu mieux qu´est-ce cache derrière cet nouveau épisode d´impunité policière on reprend un article publié par Fabien Jobard sur Vacarme @_Vacarme_ (et relayé par Rezo.net @Rezonet) réfléchissant sur la responsabilité des dispositions administratives et décisions politiques qui guident l´actuation policière sur les dits quartiers sensibles. Comme d´habitude on a ajouté des hyperliens, photos et matériel de contexte à la fin.
Zyed Benna et Bouna Traoré, morts pour rien. Foto empruntée de Kemi Seba |
par Fabien Jobard
Si
la décision de relaxe définitive prononcée par le Tribunal
correctionnel de Rennes à l’égard des deux policiers poursuivis dans le
cadre de la mort en octobre 2005 de Zyed Benna et Bouna Traoré a soulevé
une telle émotion, c’est qu’elle est lucide, au lieu d’être juste. Par
maints aspects, la justice condamne la police. Mais affirme du même coup
son impuissance à la juger. Eclairages sur un paradoxe amer.
La
décision rendue le 18 mai 2015 par le Tribunal correctionnel de Rennes
portant sur la responsabilité pénale des deux policiers poursuivis dans
l’affaire de Clichy-sous-Bois est, aussi étonnant qu’il soit, un verdict
sociologique.
Lorsqu’il s’agit de juger la responsabilité pénale
personnelle de Stéphanie Klein, la policière qui occupait la fonction
d’opérateur au poste radio, la Cour refuse de retenir de grief à son
encontre, estimant en lieu et place la responsabilité structurelle de la
Police nationale. Car, dit la Cour, Mme Klein "était une jeune
fonctionnaire stagiaire ne disposant que d’une brève expérience de
terrain". Son affectation au poste radio appelait "des compétences
particulières (…) de coordination, de contrôle et de guidage des
effectifs" sur le terrain ; or "l’enquête démontre" qu’elle "n’avait
reçu aucune formation préalable à cette mission". De surcroît, "il
est incontestable" (cette profusion de tournures affirmatives…) que
l’action se déroulait sur la commune de Clichy-sous-Bois, or Mme Klein
ignorait tout de cette ville : il n’y a alors pas de commissariat à
Clichy, réclamé par les habitants depuis 35 ans, et la commune qui "n’appartenait pas au ressort habituel du commissariat" de Mme Klein,
laquelle de toutes façons est "originaire de province" et n’est alors
en fonction en Seine-St-Denis que "depuis quelques mois seulement", et
n’y réside pas.
La perspicacité sociologique du tribunal est
digne d’éloge. Tout y est : tout ce que la sociologie de la police
souligne depuis des décennies. Ainsi l’effet lancinant de l’acte de 1941
de centralisation de la Police nationale, qui voit des effectifs
affectés dans des régions qu’ils ne connaissent pas, ne veulent pas
connaître et aspirent à quitter au plus vite. La concentration des
effectifs et infrastructures à Paris, cœur de l’agglomération et cœur du
pouvoir, et le désintérêt pour la sécurité urbaine, sont pour le
tribunal "incontestables". Et par le jeu des différents dispositifs de
la fonction publique et de la Police nationale en particulier, les
zones les plus difficiles sont confiées aux fonctionnaires les plus
jeunes et les moins expérimentés, qui se trouvent sur ces terrains dans
une situation d’encadrement moins maîtrisée encore par le jeu spécifique
de la réforme « corps et carrière » de 2004 et les mouvements
contraires de déflation et de gonflement des différents corps et grades.
Mme Klein était "une jeune fonctionnaire stagiaire". De M. Gaillemin,
le 2e policier jugé, celui qui disait à sa collègue Stéphanie Klein ne
pas donner cher de la peau des enfants "s’ils rentrent sur le site
EDF", le tribunal dira qu’il est "un jeune gardien de la paix
titulaire ne totalisant que 5 années d’ancienneté dans la police", et
relèvera qu’il est accompagné de deux agents non titulaires, deux "adjoints de sécurité". M. Gaillemin aussi est en poste au
commissariat de Livry-Gargan ; car de commissariat à Clichy, nous
l’avons dit, il n’en est point.
À cela s’ajoute une sociologie
fine du changement organisationnel, en l’espèce de la gestion des
communications radio des effectifs sur le terrain. Pour des raisons de
rationalisation budgétaire, la Police nationale a concentré les
opérateurs-radios sur des plate-formes extérieures aux commissariats
locaux, et y a en priorité affecté "les sortis d’école", surtout
féminins (ici, il s’agissait même d’une fonctionnaire stagiaire). Les
policiers de terrain ne cessent eux-mêmes de se plaindre d’être
« guidés » par des collègues qui ne connaissent pas la topographie des
lieux, ce qui donne parfois lieu à des situations cocasses, ici
dramatiques : Mme Klein a supposé que "le site EDF" était un bâtiment
administratif. Nul ne saurait lui en faire grief, d’autant que sa
hiérarchie, comme pour ajouter une touche de son cru aux causes
structurelles de défaillance de la police urbaine, ne lui avait même pas
mis à disposition de plan de la commune qu’elle couvrait ! Depuis
maintenant 50 ans, la sociologie américaine, qui dispose d’un stock
volumineux de données sur les homicides policiers, a établi que l’une
des causes les plus déterminantes de l’usage illégitime de l’arme à feu
par les policiers est la mauvaise information par le standard. J’ai par
exemple fait écho à ces travaux il y a 20 ans, y compris dans un rapport
au Ministère de l’Intérieur, et la mort récente à Cleveland d’un enfant
de 12 ans sous les balles d’un policier mal aiguillé par un opérateur
radio est récemment encore venue illustrer le caractère crucial de cette
fonction apparemment périphérique et subalterne qu’est le standard.
Sociologie des organisations, sociologie des techniques : le sociologue
ne peut que valider l’exposé du tribunal.
Mais ce n’est pas tout :
la police, ce n’est pas qu’une institution, c’est aussi une somme de
pratiques, d’interactions, d’échanges, et on ne peut la comprendre sans
la restituer dans son environnement propre, qui est la sommes des
relations avec le public. A ce titre, le deuxième policier prévenu,
M. Gaillemin, aura avancé durant les audiences une belle observation :
quand bien même il aurait enjoint les enfants de ne pas courir vers un
site présentant un danger mortel, ces derniers "ne l’auraient pas
écouté : (il) en a eu l’expérience plusieurs fois en travaillant en
Seine St Denis". De toutes les observations formulées, celle-ci est
sans doute sinon la plus juste, assurément la plus sordide. Elle nous
informe que les policiers considèrent comme acquis que plus jamais des
enfants n’écouteront la police, et que l’effort de celle-ci de
convaincre est par avance frappé d’impuissance. Nous voilà au cœur d’un
concept fondamental de la police : la confiance. On lit souvent qu’il
faut "restaurer la confiance entre police et population", en France et
ailleurs. Confiance du policier envers lui-même,
envers la force de sa parole, sa force de conviction. Confiance des
enfants envers la police : si celle-ci avait crié de ne surtout pas
s’exposer à un danger de mort, ils auraient écouté ce qui leur restait
de confiance envers la police. Or le policier estime, d’expérience,
qu’il ne leur en reste rien. La mort est au bout de ce bilan comptable.
Les
juges ne donnent pas le condensé d’un demi-siècle de sociologie de la
police pour le plaisir des sciences sociales. Ils le font aux fins
d’exonération de la responsabilité. Toutes ces raisons structurelles de
turpitude de l’organisation de la police ne sauraient être portées par
la seule Mme Klein. On a souscrit au raisonnement, on souscrit sans
réserve à la conclusion.
Mais il faut être lucide sur ce jeu de
cache-cache entre droit et sociologie. La sociologie s’adresse aux
structures, le droit pénal ne connaît que des individus. Pour le
tribunal, le responsable, c’est la structure ; le responsable, c’est
l’Etat. Il n’est pas impossible de poursuivre l’Etat, mais alors il faut
réunir devant une juridiction administrative les éléments établissant
une "faute lourde", et aucun des éléments exonératoires évoqués par le
tribunal n’en est une. Arguer du cumul de fautes légères mène également
à l’impasse, car ce ne sont pas seulement des petites négligences qui
sont en cause ici, mais au long de décennies entières une multitudes
d’effets latéraux, collatéraux, pervers, ou voulus, qui produit les
conditions de probabilité de l’accident, et de la mort. Entre
l’impossible faute lourde et l’insaisissable responsabilité
individuelle, la justice pénale rappelle qu’elle n’est pas le lieu de la
réparation morale ou politique.
Il y a bel et bien partie de
cache-cache dans ce recours à la sociologie. Le raisonnement
exonératoire en faveur d’au moins l’un des deux fonctionnaires est signé
par le même président qui ouvrait les audiences de cette mise en
garde : ce procès ne serait pas "le procès de la police dans son
ensemble". L’évidence des faits, ou la mauvaise foi, se sont finalement
imposés au terme des débats : c’est bien le procès de la police dans
son ensemble qui a été tenu, et qui a permis l’exonération.
L’exonération
de responsabilité, ce terme de droit, n’est-ce pas celui que le
politique, de Reagan à Sarkozy en passant par Blair ou Bartolone,
appellent "l’excuse sociologique" ? Le tribunal nous réconciliera : la
sociologie ne peut juger des individus. Mais alors, qui jugera la
police?
Url originale http://www.vacarme.org/article2763.htmlPlus d´Info
- L´injustice scandaleuse dans le procès des assassins de Zyed et Bouna communiqué du Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires (FUIQP) Rèperes Antiracistes (@antiraciste2012) 21 Mai 2015
- Zied et Bouna : l’extrême droite se réjouit de la relaxe des policiersLa Horde @La_Horde 21 mai 2015
- Le dernier jour de Bouna Traoré et Zyed Benna Ariane Chemin @ArianeChemin Le Monde 17 Décembre 2005
- Zizek on 2005 riots in France's banlieues. A politically incorrect (and timely necessary) reflexion. Aout 2011
- #Franca Reobert el proces x la mort de 2 nois que va incendiar les #banlieues http://www.ara.cat/mon/Reobren-lacusacio-adolescents-incendiar-banlieues_0_802119952.html … @ARA_mon #impunitat 31/10/12
- #France Retour sur la grande révolte des #banlieues françaises http://www.monde-diplomatique.fr/2006/08/DUCLOS/13741 … @mdiplo 15/1/15
- #Francia Absuelven a los dos policías acusados de no prestar auxilio a Zyed y Bouna https://www.diagonalperiodico.net/global/26770-absuelven-dos-policias-franceses-acusados-no-prestar-auxilio-zyed-y-bouna.html … @El_Diagonal #ZiedEtBouna18/5/15
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